Accueil
Patrick Dils
Les faits
Trois procès
Francis Heaulme
Avril 2002
Liens
Contact
Autorisations
Forum

 1986 : les faits

 

 


Plus loin 
sur le Web



Aucun document disponible pour l'instant



imprimer
la page

 


© Sygma


Cyril et Alexandre, 8 ans. Le dimanche 28 septembre 1986, vers 17 h 30, ils sont partis faire un tour à vélo.A 19 h 30, leurs corps sont retrouvés inertes. Les enfants ont été massacrés à coups de pierre.

 

«Dimanche 28 septembre 1986. Alexandre Beckrich et Cyril Beining, habitants de Montigny-lès-Metz, une petite ville de la banlieue de Metz, s'en vont faire un tour à vélo, vers 17 h 30, à une centaine de mètres de leur domicile. Direction : la rue Venizélos, un endroit peu fréquenté qui longe une voie ferrée désaffectée. Y stationnent quelques wagons de marchandises. Les deux garçonnets s'en donnent à coeur joie, en grimpant - à vélo - le talus jouxtant les voies de chemin de fer. A coeur joie encore lorsqu'ils farfouillent dans les bennes installées non loin de là.

A 19 heures, Cyril et Alexandre ne sont toujours pas rentrés à la maison. Angoisse des parents. Qui alertent les pompiers et la police. Quelques minutes plus tard, leurs deux bicyclettes sont retrouvées sur le talus. Mais nulle trace de Cyril et d'Alexandre. L'angoisse grandit. A 19 h 30, leurs corps, inertes, sont enfin découverts. Ils sont allongés sur le dos, massacrés à coups de pierre. L'un des gosses a la tête écrasée, enfoncée de 10 centimètres sous les pierres du ballast. Du sang a giclé jusque sur l'un des wagons.

Fausses pistes et vrais affabulateurs
Chez les Beckrich et les Beining, la vie s'arrête ce 28 septembre 1986. La population, bouleversée, voit soudain resurgir le spectre de l'affaire Patrick Henry. Ici et là, des voix réclament la peine de mort pour l'assassin.

Le soir même, les policiers de l'antenne du SRPJ de Metz, sous la direction du juge Mireille Maubert, une jeune magistrate énergique, qui en est à son premier poste, commencent leurs investigations et s'interrogent : Cyril et Alexandre auraient-ils surpris un couple illégitime dont ils connaissaient l'homme ou la femme ? Et dans ce cas, pour éviter qu'ils ne parlent, les amants les auraient-ils abattus ? Ou bien auraient-ils surpris un trafic de drogue, par exemple ? Et, témoins gênants, on les aurait froidement tués ? Alexandre et Cyril auraient-ils été victimes d'un pervers? Autant de scénarios plausibles. Mais qui pèchent sur un point : personne n'a rien entendu ce dimanche 28 septembre 1986. Pas le moindre cri des enfants, assassinés pourtant avec une violence inouïe.

Jusqu'à ce coup de théâtre, le 1er octobre. Un jeune apprenti cuisinier de 16 ans, voisin du petit Alexandre, Patrick Dils, grand garçon roux à l'apparence fragile, claudiquant légèrement, est placé en garde à vue. Il a l'habitude de se rendre du côté des bennes situées non loin de la rue Venizélos, où il se livre à son passe-temps favori : décoller les timbres des enveloppes jetées aux ordures. Fausse piste. Dils sera réentendu le 17 décembre, sans plus de succès. Jusqu'à ce que, le 28 avril 1987, interrogé pour la troisième fois...

Les enquêteurs se remettent au travail. 500 témoins sont entendus. Pas le moindre indice. Tout au plus l'expertise médico-légale a-t-elle révélé que les deux enfants n'ont subi aucune violence sexuelle. Tout au plus sait-on qu'un jeune homme d'une trentaine d'années a été aperçu, le dimanche 28 septembre, sur le lieu du crime. Et qu'une voiture, une Fiat Panda, stationnait, toutes portes ouvertes, cet après-midi là.

Un récit insoutenable
Au bout de trois mois d'enquête, le vent semble tourner. Le 10 décembre 1986, les policiers entendent un suspect. C'est un manutentionnaire, âgé de 38 ans, employé aux éditions Le Lorrain, situées rue Venizélos. Son nom : Henri Leclaire. Son travail ? Surveiller les bennes dans lesquelles sont jetés des papiers à recycler. Un maniaque, Leclaire : même quand il est en repos, il vérifie que des gamins ne rôdent pas autour desdites bennes pour décharger le papier...

Ce 10 décembre 1986, Henri Leclaire raconte qu'il s'est bien rendu le dimanche 28 septembre 1986 du côté des bennes. Il a effectivement aperçu deux enfants. Et il précise: «Ils se sont sauvés en courant en longeant les wagons. J'ai couru après eux. Je leur ai donné une gifle à chacun. (...) A un moment donné, Alexandre a trébuché. J'ai pris une pierre de la grosseur d'une main et j'ai tapé à tour de rôle sur le front des enfants. (...)»

Un récit insoutenable. Enfin, le dénouement. Sauf que, vérifications faites, les enquêteurs n'ont aucune peine à conclure que les aveux de Leclaire ne sont que le fruit de son imagination.

L'enquête repart de zéro. L'émoi grandit à Montigny-lès-Metz. Jusqu'à ce nouveau rebondissement, le 12 février 1987. A l'occasion d'une enquête de routine, le service des mineurs de la PJ messine interpelle un nouveau suspect : c'est un manutentionnaire, lui aussi. Agé de 18 ans, il s'appelle Claude Grabot. Lorsqu'un policier l'interroge sur le double meurtre de Montigny-lès-Metz, il blêmit ; des gouttes de sueur perlent sur son visage. Bizarre. Pressé de questions, il admet avoir bien rencontré deux enfants de 10-12 ans le long d'une voie ferrée, à Montigny-lès-Metz. Il avoue même avoir voulu se livrer sur eux à des attouchements sexuels. Devant leur refus, il les aurait alors frappés avec un bâton. A nouveau entendu dans la soirée du 12 février, Claude Grabot change de version et affirme avoir frappé les deux enfants à l'aide d'une pierre. Nouvelles vérifications. Et nouvelle déception. Grabot n'est qu'un affabulateur.

L'énigme de Montigny-lès-Metz sera-t-elle un jour résolue? On peut enfin le croire lorsque, à la mi-avril 1987, un couple se présente à la police judiciaire. Il confirme avoir aperçu Dils le jour du crime. Du coup, Dils refait un petit tour chez l'inspecteur Varlet.

Et là, nouveau coup de théâtre ! «J'ai menti dans mes précédentes déclarations», reconnaît d'emblée le jeune apprenti cuisinier. Détails à l'appui, il raconte son emploi du temps au cours de cette fin d'après-midi du 28 septembre 1986.

«Vers 18 h 30, dit-il, après être revenu avec mes parents de notre maison de campagne située à Dainville, dans la Meuse, je me suis rendu à la poubelle située à proximité des établissements Mathieu et Bard située rue Venizélos. J'y ai déposé un sac d'ordures. J'en ai profité pour regarder si, au fond de la poubelle, ne traînaient pas quelques enveloppes usagées. Je souhaitais y décoller des timbres.» Il est environ 19 heures. Dils traverse la rue Venizélos : sur le talus, il aperçoit deux enfants à vélo. Il reconnaît immédiatement Alexandre Beckrich, son petit voisin. Les deux enfants se dirigent alors vers les wagons. Dils les rejoint.

Les aveux terribles de Patrick Dils
Survient alors l'indicible. «Pour une raison que je ne m'explique pas, lâche Dils, j'ai saisi une pierre que je tenais dans ma main droite. Je me suis approché de Cyril. Il me faisait face. Je lui ai donné un coup, avec la pierre toujours dans ma main, suffisamment fort pour qu'il tombe. J'ignore si l'enfant a saigné ; toujours est-il qu'il est tombé. Il ne disait plus rien.»

Et Patrick Dils de poursuivre : «Par contre, Alexandre poussait des cris de frayeur. Il ne bougeait plus, comme s'il était paralysé. Il criait fort et cela m'a affolé. Comme j'avais jeté la pierre que j'avais utilisée pour le premier enfant, j'en ai ramassé une autre, d'une grosseur identique, et j'ai frappé Alexandre au milieu du front, pour le faire taire. Il est tombé à environ 1 mètre, 1,50 mètre de son copain. Je pense ne lui avoir donné qu'un seul coup.»

Abasourdi, l'inspecteur Varlet écoute. Dils enchaîne. Et explique qu'après son crime il avait hâte de rentrer chez lui. Il a alors couru, à demi courbé pour ne pas être repéré, jusqu'à la maison de ses parents. Il grimpe directement au deuxième étage, où se trouve sa chambre. Personne ne l'a vu, assure-t-il. Puis il change de vêtements et se lave les mains. Quelques minutes plus tard, Patrick Dils passe à table en compagnie de ses parents. Comme si de rien n'était.

«Pour quelles raisons avez-vous assassiné Alexandre et Cyril ?» interroge Varlet... Réponse de Dils: «J'ignore les raisons qui m'ont poussé à monter sur le talus de la SNCF, puis à suivre les enfants et à les tuer. J'avais l'impression d'agir dans un état second. J'agissais comme si ce n'était pas moi.» Aveux terribles réitérés devant la juge Maubert. Et qui le seront encore devant les psychiatres et les psychologues.

Pour le juge, plus aucun doute
Lors de la reconstitution du crime, Dils mime les gestes employés pour abattre les enfants. Et surtout, élément capital qui pourrait peser lourd lors du second procès, il prend les pierres une à une sans se tromper, et désigne celle qui a tué successivement Cyril et Alexandre.

Cette fois, pour la juge Maubert, aucun doute : Dils a bien assassiné les deux enfants. Elle l'inculpe d'homicides volontaires et l'incarcère à la maison d'arrêt de Metz-Queuleu. Après son procès, il sera transféré à la prison de Toul.

Décidément, il est écrit que cette affaire ne sera jamais une banale affaire criminelle. Le 30 mai, alors qu'il est détenu depuis un mois, Dils, dans une lettre envoyée à son avocat, Me Becker, revient sur ses aveux. «Je n'ai pas tué Alexandre et Cyril, écrit-il, en signant "l'innocent incompris". J'ai avoué uniquement pour que les policiers me laissent tranquille.» Propos qu'il confirme devant la juge Maubert le 17 juillet 1987. Ce revirement ne la convainc pas. Le 27 janvier 1989, il devient le plus jeune condamné à perpétuité de France.
Depuis près de quinze ans, Dils ne cesse de crier son innocence. Quant à ses avocats, ils ne cessent de dénoncer les incohérences du dossier. Comment, soutiennent-ils, Dils, de faible constitution physique, aurait-il pu frapper si fort l'un des enfants au point d'enfoncer sa tête de 10 centimètres sous le ballast ? Comment aurait-il pu commettre le double meurtre situé, selon le médecin légiste, entre 17 et 18 heures, alors que, tous les témoins l'attestent, il n'est rentré de sa maison de campagne le dimanche 27 septembre 1986 qu'à 18 h 30 ? Enfin, est-il possible que les parents de Dils, le soir du crime, ne se soient pas aperçus que les vêtements de leur fils pouvaient être tachés de sang ?
A ces interrogations s'ajoutent, toujours selon les avocats de Dils, un élément qui plaiderait en faveur de leur client : l'absence de mobile. Et c'est vrai qu'aucun contentieux n'existait entre les familles Beining et Beckrich et Patrick Dils.

Forts de ces constats, les avocats de Dils demandent la révision du procès. A deux reprises, la commission de révision de la Cour de cassation refuse. Moti f: aucun élément nouveau «de nature à douter de la culpabilité» du condamné n'existe.

En 2000, enfin, la commission accepte d'entamer le processus de révision. Cette fois existe bien un élément nouveau : la présence de Francis Heaulme sur les lieux du crime le dimanche 28 septembre 1986.

Une présence découverte par hasard en janvier 1992 - soit cinq ans après la condamnation de Dils - par l'adjudant de gendarmerie Jean-François Abgral. A l'époque, ce dernier interroge Heaulme à la maison d'arrêt de Brest sur un autre dossier criminel. Or, spontanément, sans être sollicité d'aucune façon, il confirme sa présence à Montigny-lès-Metz. Et d'évoquer pêle-mêle un vélo, des voies de chemin de fer, des poubelles et des pierres jetées par des enfants sur les passants et les automobilistes. L'enquête révélera que c'était effectivement l'un des passe-temps favoris d'Alexandre et de Cyril. Troublant.

Supplément d'instruction
Le 30 juin 1994, un rapport de synthèse de la gendarmerie confirme qu'Heaulme à bien travaillé du 8 septembre au 8 octobre 1986 - date de son licenciement - à l'entreprise de maçonnerie C.T.B.E. située précisément à proximité du lieu du double crime. Encore troublant... même si Heaulme ne fait aucun aveu.

En 1999, placé en garde à vue dans les locaux du SRPJ de Nancy, Heaulme réitère les déclarations faites sept ans plus tôt à l'adjudant Abgral: «Oui, j'étais présent le 28 septembre 1986 à Montigny-lès-Metz. C'était un dimanche. Des enfants jetaient des pierres sur les passants. Ils m'ont visé.» Enfin, à la question des enquêteurs: «Seriez-vous capable de tuer deux jeunes enfants qui vous lancent des cailloux?», il n'hésite pas: «Oui.» Et Heaulme de préciser: «J'ai d'ailleurs étranglé Joris Viville [10 ans] parce qu'il m'avait énervé. J'ai été condamné pour cela.»

Pourtant, le 18 mai 2000, l'avocate générale de la Cour de cassation s'oppose à l'annulation de la condamnation de Patrick Dils. Motif : les soupçons sont «dépourvus d'éléments objectifs incontestables». Néanmoins, le 28 juin, la Cour ordonne un supplément d'instruction. Nouvel interrogatoire d'Heaulme. Ses déclarations semblent sujettes à caution. De plus, quel crédit accorder à un homme violent, psychopathe, qui s'accuse souvent de crimes qu'il n'a pas commis ? Il n'empêche. Le rapport de synthèse de la gendarmerie, en date du 14 décembre 2000, s'il émet des doutes sur «sa responsabilité directe dans la commission du double homicide», se montre catégorique sur un point capital : «Les éléments, quant à la présence d'Heaulme Francis le 28 septembre 1986 sur le lieu du double meurtre, sont absolument irréfutables.»

Là, c'est gagné. La chambre criminelle de la Cour de cassation ordonne, début avril 2001, que Dils soit rejugé. Les familles Beining et Beckrich sont effondrées. Une semaine durant, elles vont devoir revivre la tragédie de ce dimanche d'automne 1986. Quant aux avocats de Dils, ils sont confiants : le 26 juin au soir, un «crime judiciaire» - les quinze ans de prison de leur client - sera, à coup sûr, effacé. Reste que le témoignage d'Heaulme risque de peser lourd dans la décision de la cour d'assises. Car c'est ainsi : il ne sera entendu que comme témoin. Il n'a jamais été mis en examen dans l'affaire Dils. C'est encore l'un des paradoxes de cette ahurissante histoire.»

© L'Express

 

 


© Elise Delprat

Page d'accueil - Patrick Dils - Les faits - Trois procès - Francis Heaulme - Contact - Autorisations