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Avril 2002
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L'ombre de Francis Heaulme

 

 


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© F. Stevens/Sipa Press


Francis Heaulme.
La présence de ce
serial killer, déjà condamné pour meurtre, à Montigny-lès-Metz, le 28 septembre 1986, est un élément suffisant pour obtenir la révision du procès de Patrick Dils.

 

«Le 6 mai 1992, lors de l'un de ses multiples interrogatoires, Francis Heaulme déclare ceci : «Depuis douze mois, je ne bois plus. Avant, quand je buvais, je ne savais plus où j'étais et je me faisais du mal à moi-même, plein de cicatrices. Je ne buvais jamais en groupe mais seul. Je ne buvais que de la bière et, quand je ne savais plus où j'étais, je m'allongeais dans un coin et je ne bougeais plus.»

Arrêté, le 7 janvier 1992, à Bischwiller (Bas-Rhin), où il avait fini par poser son sac au terme de six années d'errance, Francis Heaulme est accusé d'avoir tué Laurent Bureau, le 9 mai 1986, à Périgueux ; Joris Viville, le 5 avril 1989, à Port-Grimaud ; Aline Pérès, le 14 mai 1989, à Brest ; Sylvie Rossi, le 19 juillet 1989, à Reims ; Jean-Joseph Clément, le 7 août 1989, à Courthézon (Vaucluse), et Laurence Guillaume, le 7 mai 1991, à Metz. On le soupçonne encore d'avoir commis une dizaine d'autres meurtres aux quatre coins du pays. Les enquêteurs sont formels : Heaulme est un «serial killer», un tueur en série. Deux experts psychiatres, qui l'ont examiné, soulignent qu'il occupait au sein de la société marginalisée «une place à part, elle-même marginalisée». La marge de la marge, en quelque sorte. L'enfer, à côté, ressemble à une annexe du Club Méditerranée.

Un marginal selon les psychiatres
Le tueur en série est un spécimen rare qui nous vient des Etats-Unis. Son intelligence est souvent supérieure à la moyenne. Il tue sans mobile mais avec méthode. Déploie des trésors d'invention pour égarer les soupçons. Mutile les corps de ses victimes et ne rate pas une occasion de filmer ses exploits en vidéo. Le tueur en série est le cauchemar des agents du FBI. Et une mine d'or pour les scénaristes de Hollywood. Francis Heaulme, lui, n'a rien d'un agrégé du cran d'arrêt. «C'est un pauvre diable», dit sa soeur, Christine. Un type qui avoue, puis se rétracte. Un tueur qui ne tolère pas la vue du sang. Un timide capable de baisser son pantalon au beau milieu d'un interrogatoire de la brigade criminelle, histoire de vanter, sous toutes ses coutures, les mérites du caleçon «de coupe américaine», et de faire consigner sur procès-verbal le fait qu'il «ne supporte plus les slips qui serrent». A Bischwiller, lorsque les gendarmes l'ont retrouvé, Francis Heaulme, 34 ans, vivait depuis six mois avec Georgette, divorcée, sans enfant. La femme de sa vie. La première. Le dimanche, il avait pris l'habitude de l'accompagner à la messe. Ensemble, main dans la main, ils chantaient des cantiques avec la chorale de la paroisse.

Ce qui frappe d'abord, chez lui, c'est son physique. Heaulme mesure 1,87 mètre, pour 74 kilos. Des bras trop longs, un corps trop maigre. Une carcasse de colosse décharné qu'il trimbale comme un fardeau, en courbant le dos. Et puis, son regard. «C'est sans doute un détail, mais il ne bat jamais des paupières, souligne un magistrat. Il peut vous fixer un quart d'heure, droit dans les yeux, sans ciller.»

A 17 ans, il se passionne pour l'affaire Grégory
Francis Heaulme est un être insaisissable. Un homme au visage sans âge. Un prototype d'un genre nouveau dont on ne sait pas très bien s'il faut le ranger au panthéon du crime ou au rayon des mythomanes que le hasard pousse systématiquement au mauvais endroit, au mauvais moment. Les psychiatres s'échinent à le faire redescendre sur terre à grand renfort de Mogadon, de Droleptan, de Neuleptil et de Lysanxia 40. «Sa crédibilité nous apparaît fortement entamée, disent-ils, en raison d'une tendance nette à la fabulation, avec variabilité dans les affirmations, liée à des traits de personnalité paranoïaques.» Me Gonzalez de Gaspard, l'avocat de Francis Heaulme, considère que son client est un irresponsable. Il ne désespère pas de lui voir appliquer l'article 64 du Code pénal relatif aux aliénés mentaux.

L'ouverture de son premier procès est fixée au 27 janvier. Heaulme comparaîtra devant la cour d'assises du Finistère, à Quimper, pour le meurtre d'Aline Pérès, une aide-soignante de 49 ans, poignardée sur la plage du Moulin-Blanc, près de Brest. C'est le témoignage tardif d'un routard qui l'a confondu. Au cours de ses dépositions, comme à son habitude, Heaulme a fourni une quantité industrielle de versions. Il a d'abord prétendu qu'il ne se trouvait pas, ce jour-là, aux environs de la plage. Puis, en fait, qu'il y était. Que, la veille, il avait rêvé de ce crime, mais qu'il ne l'avait pas accompli. Plus tard, il s'est mis à raconter le meurtre, à la façon d'un spectateur, à la troisième personne. Enfin, il a employé le «je»: «J'étais très énervé. Je me suis avancé vers la femme. (...) Elle a vu ce qui allait se passer. Elle a vu le couteau. Je me suis adressé à elle et lui ai dit: "Je m'appelle Heaulme Francis, j'ai un problème, je veux vous parler." Je lui ai également dit: "J'ai rêvé que vous alliez être poignardée." La femme avait peur, elle a crié.» Il explique alors qu'il a «vu rouge», qu'il a frappé.

Lorsqu'il passe aux aveux, Heaulme montre de réelles dispositions pour l'art de la litote. Il dit qu'il a «vu rouge», qu'il a eu «un trou noir», ou alors qu'il s'est produit «un pépin». De retour dans sa cellule, il recommence à nier. A un expert qui s'est aventuré dans les méandres de sa psychologie Heaulme a tenté d'expliquer: «A Brest, je voyais un homme qui frappait avec un couteau et il s'est révélé que c'était moi.» La routine, quoi.

C'est sans doute au décès de sa mère que l'existence de Francis Heaulme a basculé. Deux ans plus tard, pour l'anniversaire de sa mort, il tentera de se suicider en avalant des barbituriques. Nicole Heaulme a été emportée par un cancer, le 16 octobre 1984, le jour de l'assassinat de Grégory Villemin. Longtemps, son fils collectionnera les coupures de presse sur l'affaire de la Vologne. A l'époque, il n'y a pas grand-chose à raconter sur Francis Heaulme. A 17 ans, déjà, il était alcoolique au dernier degré. Ses seules fréquentations se résumaient aux amis que sa soeur invitait à la maison. Un temps, il a sillonné les routes de la région à vélo, en compagnie des amateurs d'un club messin. Mais il n'était pas fait, non plus, pour mêler sa vie à celle d'un peloton. Exempté de service militaire en raison de complications psychiatriques, renvoyé de son emploi de maçon parce qu'il buvait trop, Heaulme a 26 ans lorsqu'il choisit de couper le cordon. Il emporte avec lui le souvenir d'une mère adorée. Et la marque d'un père qui le corrigeait à coups de câbles métalliques et de chaussures à bouts renforcés.

Heaulme voyage toujours en solo. Il lui arrive, certains jours, de couvrir des distances impressionnantes. Les gendarmes ont établi qu'il avait traversé pas moins de 37 départements en l'espace de quatre ans. Ses trajets n'obéissent à aucune logique. Il se déplace à pied, resquille dans les trains. Parfois, il fait du stop. Quand une voiture déboule, sa technique est imparable : il s'allonge sur la chaussée. Heaulme a le chic pour se faire remarquer. Il signe tous les registres des foyers Emmaüs où il est hébergé. Subit à sa demande une multitude d'hospitalisations dans des établissements psychiatriques, d'où il repart sans crier gare. Porte plainte sous n'importe quel prétexte à la gendarmerie. Bien sûr, tout cela ne relève pas de la cour d'assises. Mais Heaulme possède encore une autre manie: celle de toujours séjourner, au moment des faits, dans les parages de plusieurs crimes non élucidés.

Le rébus des dépositions
C'est en enquêtant sur le meurtre d'Aline Pérès qu'un gendarme de la section de recherche de Rennes va parvenir à reconstituer l'itinéraire de Francis Heaulme. Pendant près de deux ans, le maréchal des logis-chef Jean-François Abgrall met ses pas dans ceux du routard. Il retrouve ses compagnons de beuverie. Calcule la vitesse moyenne de ses randonnées à travers le pays. Au centre technique de rapprochement de Rosny-sous-Bois, un dossier spécial est ouvert. L'ordinateur de la gendarmerie croise des centaines d'informations. Les amendes SNCF que Heaulme n'a jamais payées, les plaintes incessantes qu'il déposait, ses demandes auprès des organismes sociaux, la seule condamnation dont il ait écopé. C'était à Besançon, en 1989. Heaulme avait volé 50 francs à une vieille dame. On ne sait pas pourquoi, mais il s'était rendu. Trente-huit jours de prison.

Heaulme a toujours été en mal de reconnaissance. Le genre de type qui s'automutile avec son Opinel et se rue dans les gendarmeries en prétendant qu'il a été victime d'une agression. Dans un premier temps, les enquêteurs ont travaillé sur une centaine de crimes suspects. Puis ils ont procédé par élimination. «Nous n'avons jamais voulu le faire entrer dans le "Livre des records"», affirment-ils.

Interroger Francis Heaulme est une épreuve de chaque instant, un sport de haut niveau. Dès leur première rencontre, le gendarme Abgrall en a compris les règles. Les dépositions de Heaulme sont des rébus qu'il est le seul à savoir décrypter. Il lui faut tendre l'oreille au moindre de ses propos. Ne pas faire mention de sexe, ni de meurtre, mais d' «accident». Poser un minimum de questions. Heaulme est enfin flatté de trouver quelqu'un pour l'écouter. Alors, il se détend et se lance dans ses hallucinantes confessions. Il détaille ses crimes avec un luxe inouï de précisions. Griffonne des croquis. Pour l'assassinat de Sylvie Rossi, trois ans après les faits, il indique aux enquêteurs la présence d'un panneau de signalisation qu'ils n'avaient même pas remarqué. Le meurtre de cette serveuse de 31 ans qui l'avait pris en stop et lui aurait fait des «propositions» est le seul sur lequel Francis Heaulme ne soit jamais revenu.
Quant au reste, maintenant, il nie. A juste titre, concernant l'affaire de Courthézon: la mort de Jean-Joseph Clément, un agriculteur retrouvé sur les bords de l'Ouvèze, le crâne fracassé. Le juge estime ses aveux «non circonstanciés» et les gendarmes admettent qu'ils ont abandonné sa piste. Le jour du crime, ils ont établi qu'il était encore à Marseille. Il arrive parfois à Francis Heaulme d'être un coupable trop zélé. Me Gonzalez de Gaspard, qui milite pour la suppression de la garde à vue, n'en démord pas: «Il faut connaître la capacité de Heaulme à s'autodétruire, sa fragilité mentale, pour mesurer à quel point il peut être dangereux pour lui-même. Il est trop facile de vouloir lui coller sur le dos tous les crimes commis ces dernières années sur les routes de France.»

Une herbe toujours plus verte
Dans trois autres dossiers, la présence de comparses est désormais avérée. Didier Gentil, entre-temps condamné à perpétuité pour l'assassinat de la petite Céline, était en compagnie de Heaulme, lors du meurtre de Laurent Bureau, à Périgueux. A Metz, c'est Michel Guillaume, le cousin de la victime, lui aussi inculpé d'assassinat, qui se trouvait avec lui. Dans l'affaire du petit Joris Viville, enfin, un homme est activement recherché. Il conduisait la voiture dans laquelle l'enfant a été enlevé.

Devant un juge d'instruction qui l'interrogeait sur les incohérences de ses déclarations, Francis Heaulme a fourni la réponse suivante: «Les gendarmes d'Avignon, ils sont quand même venus me voir à Rennes. Ça fait un sacré déplacement, alors je n'allais pas leur dire que je n'étais pour rien dans cette histoire. Je ne sais plus où j'en suis. Je prends des cachets, je ne sors plus. Il y a des psychiatres qui parfois se font passer pour des juges ou des gendarmes. Je ne comprends plus rien et j'ai le cerveau complètement déréglé. Maintenant je suis déshonoré.»

Dans l'isolement de sa cellule de Draguignan, Francis Heaulme écrit des cartes postales à sa sœur où il jure son innocence. Le reste du temps, il dessine des chevaux dans des pâturages et des bateaux sur l'eau, toutes voiles gonflées. Des paysages imaginaires où l'herbe repousse toujours plus verte et où les vents contraires n'existent pas.

© L'Express

 

 

 


© Elise Delprat

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