«Patrick
Dils l'innocence au grand jour
Acquitté
en avril, l'ancien condamné à perpétuité réapprend la
vie. Après quinze ans de prison, l'enfant sage et passif a
pu prouver son innocence grâce à une véritable mue intérieure.
Il a l'air un peu
affolé. Le temps toujours si rapide après l'abîme carcéral.
"Il faut encore que je remonte chercher des affaires
dans ma cellule... pardon, dans ma chambre." La
prison, indélébile : dans les mots, dans la tête,
sur le corps. Patrick Dils montre le long corridor du foyer
de jeunes travailleurs où il résidait ces deux derniers
mois. "Ces murs, ces portes... Je ne supporte plus.
Ca fait trop penser à la prison." Même lorsque le
détenu est innocenté, une sortie de prison reste une
sortie de prison, avec son cortège de galères. Mais il y a
une petite flamme dans la voix. "J'ai un travail [magasinier
dans une fabrique d'ustensiles de cuisine], je viens de
passer mon permis cariste, j'ai un scooter et je viens de
trouver un appartement ! Après la promotion, c'est là
que je vivrai."
La
"promotion". Dix jours à se plier aux
obligations médiatiques pour la sortie de son livre
autobiographique, Je voulais juste rentrer chez moi... (Michel
Lafon, 234 pages, 18 euros). Le matin, la boulangère
lui a offert un sourire en lui souhaitant "bonne
chance". Son nouvel employeur lui a donné un congé
sans hésiter. "Ce sont des petites touches de
gentillesse qui font vraiment plaisir." Après une
moitié de vie à ruminer l'erreur, Patrick Dils, 32 ans,
aspire à de petits riens. Aux confins du Doubs, il a trouvé
un repli de verdure où faire son chemin.
Ce soir d'avant-promotion,
on le ramène vers les faubourgs de Metz, chez ses parents.
Avant l'entretien, il prévient : "J'ai le
corps d'un adulte, mais, à l'intérieur, je suis encore un
enfant." Pour son rendez-vous, l'ancien apprenti
cuisinier a boutonné sa chemise jusqu'au cou. Son portable
sonne, générique de Mission impossible : sa mère
s'inquiète qu'il ne rentre pas trop tard. On l'écoute
parler de liberté. "Quand j'ai retrouvé la maison
de mes parents, j'ai couru comme un jeune chiot dans toutes
les pièces !"
Le retour à la vie
a commencé par un profond désir de retour au passé. A l'école,
accompagné de son institutrice, il a réemprunté le chemin
du cours préparatoire. "J'ai retrouvé les odeurs
de craie, de papier, de stylo, de colle..."Son
visage s'éclaire en inspirant. L'institutrice, qu'il chérit
comme "une deuxième maman", se souvient de
l'enfant "parfaitement timide et soumis à l'autorité".
A-t-il vraiment changé ?
Il s'est ensuite
baladé dans son quartier, y compris dans cette partie de la
rue Vénizélos, à Montigny-lès-Metz (Moselle), nichée au
creux du talus ferroviaire où furent retrouvés, le 28 septembre
1986, les corps d'Alexandre Beckrich et de Cyril Beining,
les deux garçonnets de 8 ans sauvagement frappés à
la tête à coups de pierres. Certains lui avaient déconseillé.
D'instinct : "Mais je n'ai rien à me reprocher !"
A sa sortie de
prison, il y a six mois, son avocat parisien, Me Jean-Marc
Florand, lui avait trouvé du travail dans une imprimerie de
la banlieue parisienne. La greffe n'a pas pris. Trop de
stress. Il est revenu dans l'Est. En août, en famille, il a
fait un tour de France chez ceux qui l'ont soutenu entre le
procès de Reims, à huis clos, en juin 2001 (première
révision manquée, condamnation ramenée à vingt-cinq
ans), et celui de Lyon, public, en avril 2002, quand,
au-delà du doute ayant suscité la révision (la présence
du tueur en série Francis Heaulme sur les lieux le jour du
crime), une contre-enquête de gendarmerie a conclu à la
quasi-impossibilité matérielle, pour lui, d'avoir commis
les crimes reprochés.
Conforme à l'image
que certains psychologues avaient brossée – une
personnalité naïve cherchant à faire plaisir à son
interlocuteur –, Patrick Dils se plie docilement au
jeu des questions. On note chez lui, lorsqu'on cherche son
assentiment, cette propension à répéter poliment les fins
des phrases ou, parfois, à les devancer. Comment peut-on
avouer un double meurtre qu'on n'a pas commis ? "Pour
un policier habitué à faire craquer des récidivistes,
c'est l'enfance de l'art de faire dire n'importe quoi à un
enfant." A Metz, en 1986, les enquêteurs avaient déjà
recueilli les aveux de deux autres suspects avant lui.
L'autobiographie,
relue en famille avec son avocat mosellan, a été rédigée
avec l'aide d'une journaliste de l'émission "Sans
aucun doute" (TF1), qui fit couler tant d'encre pour
avoir été monnayée en tant qu'exclusivité, après
l'acquittement. "C'est l'avocat parisien qui a tout
fait. J'ai dit "oui" parce que je ne pouvais pas
vraiment faire autrement. C'est un peu à mon insu, je
dirais."
On revient sur le
livre. "Une thérapie, confie-t-il. Mais je
suis frustré. Comment résumer quinze ans de prison !".
Quinze années à souffrir au bas de l'échelle carcérale,
étiqueté meurtrier d'enfants. "On dit qu'il y a eu
trois cours d'assises, mais, pour moi, c'était la cour
d'assises tous les jours. Il fallait toujours me justifier
(...). J'aurais voulu parler de tous ceux, hormis mes
parents, qui m'ont permis de tenir."A travers le
procès, on connaît déjà ceux de l'extérieur, partie émergée
d'un iceberg de solitude et d'introversion : un pasteur
aumônier, un visiteur de prison, seules âmes autorisées
les vingt et un premiers mois quand la juge d'instruction
Mireille Maubert avait cru bon d'interdire au mineur toute
visite de ses parents ; quand il disait aussi son
innocence apparemment sans conviction. Son avocat, Me Bertrand
Becker : "Comment vouliez-vous être l'interprète
du silence ?" Il y eut aussi son institutrice,
puis, à partir de 1994, un ami d'enfance, Jean-Claude
Seignert, avec son épouse, et une poignée d'amis. Alors
Patrick Dils dit ceux de l'ombre, qu'il appelle ses "collègues",
souvent plus âgés que lui, véritables jalons dans son
évolution psychologique. "Ce sont eux qui m'ont aidé
à mûrir, à grandir, à me construire." Ce détenu,
rencontré au début, à la maison d'arrêt de Metz, en pâtisserie,
qui lui a appris à s'aimer. "J'étais seul,
solitaire, je ne me trouvais pas beau. Il m'a dit que, pour
pouvoir apprécier quelqu'un, il fallait que moi je puisse
d'abord m'apprécier." Puis ce peintre, aujourd'hui
décédé, assassiné. "Il avait fait les
Beaux-Arts. Il me disait : "Regarde cette peinture
et dis-moi ce que tu vois. Je suis sûr que je ne la vois
pas comme toi. Les gens, c'est comme une peinture. Certains
t'apprécieront, d'autres non" (...). Avec lui,
je me suis mis à peindre."
Il y eut aussi cet
ancien choriste, qui lui fit découvrir les Bee Gees, ou ce
charpentier, qui l'encouragea à bricoler. Et puis, les
quatre dernières années, ce groupe musical à neuf :
les Nobody's Perfect ("personne n'est parfait").
D'ailleurs, personne n'était musicien. Il fredonne les
chansons, toutes des compositions : Rêve, Illusion,
Une rose pour Cathy, Pascaline, Les Gens... "Un
jour le bassiste est venu me voir : "Patrick, je
me suis réveillé cette nuit, ta situation me bouleverse
[c'était juste après la cassation du jugement], j'ai
fait une chanson pour toi. Il n'y a que toi qui peux la
chanter, qui pourra y mettre l'émotion"."
Pour vaincre la
peur, la timidité, Patrick Dils se lançait perpétuellement
des défis. L'un des derniers à relever fut la préparation
de son procès à Lyon. "Après la nouvelle
condamnation, à Reims, ce fut comme un choc : une
lettre de Me Becker, la lecture des journaux où l'on
parlait de ma passivité, de mes silences, l'un de mes
avocats a même dit que j'étais une énigme ! J'ai
compris qu'il fallait que je devienne acteur de mon procès."
Ses amis confirment : auparavant, il paraissait si
passif, spectateur de son histoire. Alors, en détention, il
y eut finalement Pierre Lefèvre, dit "Pierrot",
dit "Papy".
A jamais, Patrick
Dils sera reconnaissant à ce détenu, la cinquantaine,
croisé à la maison d'arrêt de Reims. "Je lui
serai redevable jusqu'à la fin de mes jours. Il a cru en
moi, a demandé à partager la même cellule. Il m'a fait
travailler le dossier et, comme un coach, tous les soirs,
les week-ends, sous la pluie, sous la neige, il m'a entraîné.
"Papy" jouait la juge d'instruction, l'inspecteur
Varlet [directeur d'enquête en 1986], pour que je
m'habitue. Il m'a fait souffrir. Il dégageait une force !
Il avait une foi ! Il me disait : "C'est sûr,
Patrick, tu vas sortir !"."
Inconnue, une
correspondance traduit parallèlement cette métamorphose
qu'à l'extérieur un changement d'apparence compléta
(abandon des lunettes, moustaches rasées). Après Reims,
une psychiatre, le docteur Anne Hass, lui a proposé un
soutien par correspondance : "Au début, il
avait une petite écriture minuscule et rabougrie, constate
le médecin. Elle est devenue plus ample. Il se libérait
d'un poids." Tous deux ont accepté la reproduction
de quelques extraits de ces lettres signées "l'innocent
incompris".
Le 5 septembre
2001, en réponse à la proposition d'aide :
"Effectivement, je souhaiterais suivre une psychothérapie
afin d'exprimer tout ce que je porte sur le cœur et qu'il
m'est impossible de dire pour le moment(...). "
Le 18 : "Ce n'est pas facile de parler et
exprimer les sentiments dans une cour d'assises. Depuis
quelques semaines, j'ai commencé à faire seul un travail
sur moi pour essayer de comprendre et d'analyser les choses
afin de mieux me préparer." Le 18 octobre :
"Je veux tout faire pour que Lyon soit la fin de mon
calvaire afin que je puisse ensuite vivre heureux et
simplement avec parents et amis." Le 20 novembre :
"Je suis en train de faire un très très gros
travail d'élocution et de diction verbale pour non
seulement réussir à parler, mais aussi être crédible,
convaincant et touchant dans mes propos. Je vous le redis,
je fais de très gros efforts sur moi." Le 27 février
2002 : "Bien sûr, la vie est un combat. Mais
le combat que je mène depuis quinze ans est bien plus dur
et injuste que tout ce que vous pouvez imaginer (...). Je
suis toujours déterminé pour Lyon, mais je sais que
j'aurai la peur au ventre." Le 18 mars : "Je
ne suis pas un monstre, mais un humain qui a dû se
construire tout seul pour se protéger de l'univers carcéral
destructeur ainsi que des adultes qui m'ont, dans la majorité
de mon parcours, trahi ou ont abusé de ma gentillesse et de
mon honnêteté et surtout ont profité de ma naïveté et
de mon jeune âge ! La torture psychologique et mentale
est pire que tout et je ne sais pas si un jour je n'en
souffrirai plus (...)." Le 20 mars, à propos
de Francis Heaulme : "Je mets un point
d'honneur à dire que nous n'avons aucun point en commun :
il est le noir. Je suis le blanc." Le 25 mars :
"Parler de la prison, cela ne m'intéresse pas
vraiment. Cela fait quinze ans que je suis forcé d'y vivre.
Pour m'évader et m'enrichir, je préfère parler de ce qui
me fait envie et me manque. En deux mots : la vie."
Le 31 mars : "Encore huit jours et le
combat final sera déclenché. La peur au ventre est présente
(...). Mais, en repensant au dernier procès de
Reims, je pense pouvoir vous dire que je suis mieux dans ma
tête et dans mon cœur pour (...) faire face aux
accusations. Tous les jours, je prends un petit moment où
je m'allonge sur le lit et ferme les yeux en imaginant les témoins
à charge (policiers, juge, etc.) (...). Pour me comprendre,
il faut qu'il y ait un minimum d'échanges et que la
confiance soit présente, ce qui n'est pas le cas dans une
cour d'assises. On juge d'une certaine manière quelqu'un
sans le connaître. A travers des procès-verbaux, des
on-dit et des suppositions, on détruit d'un claquement de
doigt la vie de l'accusé et celle de sa famille. Soyez
rassurée, même si la peur et l'angoisse m'habitent, j'ai
foi en moi, en mes défenseurs et ceux qui croient en moi."
Après six mois de
liberté, constate Patrick Dils, "on me demande
souvent si j'en veux à l'enfant de 16 ans que j'étais,
qui n'a pas su se défendre. Mais comment pourrais-je lui en
vouloir ? Quel a été mon pire ennemi ? Mon
innocence"... Il veut dire sa naïveté, son manque
de maturité. Alors, au-delà des visages des policiers, de
la juge d'instruction, de l'avocat général et des premiers
jurés de Metz – ceux de la perpétuité –,
jamais oubliés, coule l'amertume. "Je n'ai de la
haine à l'égard de personne. En revanche, je ne peux ni
oublier ni pardonner le mal qui m'a été fait." Il
pense désormais à son projet de restaurant –"J'ai
ça dans la tête depuis l'âge de 9 ans." Songe-t-il
à l'indemnisation ? "Ça me permettra de vivre
mieux, plus rapidement, mais ça ne me rendra pas mes quinze
ans." Ses amis, au risque d'essuyer des réactions
de fierté, le mettent toujours en garde contre sa naïveté.
Reste ces deux mots
qui lui manquaient hier : la vie. "Elle est
tellement belle ! Le soir, en rentrant du travail, ça
m'arrive de me mettre le long du cours d'eau et d'écouter
le bruit du vent, de la flotte qui s'écoule. C'est génial !"
Trois mots illuminent encore son visage : l'amour, la
famille, les enfants. On croit percevoir pourtant un
brouillard devant les yeux : il confesse la peur du
premier rapport sexuel (le souvenir de viols, il y a dix
ans, en prison), et le moment d'avoir des enfants (comment
oublier ce dont on l'a accusé ?). Il ose à peine le
dire, mais il a aussi peur de l'oubli. Il souhaiterait
qu'après lui sa descendance puisse témoigner. "On
a trop sali mon nom."
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