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Avril 2002
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Patrick Dils l'innocence au grand jour

Acquitté en avril, l'ancien condamné à perpétuité réapprend la vie. Après quinze ans de prison, l'enfant sage et passif a pu prouver son innocence grâce à une véritable mue intérieure.

Il a l'air un peu affolé. Le temps toujours si rapide après l'abîme carcéral. "Il faut encore que je remonte chercher des affaires dans ma cellule... pardon, dans ma chambre." La prison, indélébile : dans les mots, dans la tête, sur le corps. Patrick Dils montre le long corridor du foyer de jeunes travailleurs où il résidait ces deux derniers mois. "Ces murs, ces portes... Je ne supporte plus. Ca fait trop penser à la prison." Même lorsque le détenu est innocenté, une sortie de prison reste une sortie de prison, avec son cortège de galères. Mais il y a une petite flamme dans la voix. "J'ai un travail [magasinier dans une fabrique d'ustensiles de cuisine], je viens de passer mon permis cariste, j'ai un scooter et je viens de trouver un appartement ! Après la promotion, c'est là que je vivrai."

La "promotion". Dix jours à se plier aux obligations médiatiques pour la sortie de son livre autobiographique, Je voulais juste rentrer chez moi... (Michel Lafon, 234 pages, 18 euros). Le matin, la boulangère lui a offert un sourire en lui souhaitant "bonne chance". Son nouvel employeur lui a donné un congé sans hésiter. "Ce sont des petites touches de gentillesse qui font vraiment plaisir." Après une moitié de vie à ruminer l'erreur, Patrick Dils, 32 ans, aspire à de petits riens. Aux confins du Doubs, il a trouvé un repli de verdure où faire son chemin.

Ce soir d'avant-promotion, on le ramène vers les faubourgs de Metz, chez ses parents. Avant l'entretien, il prévient : "J'ai le corps d'un adulte, mais, à l'intérieur, je suis encore un enfant." Pour son rendez-vous, l'ancien apprenti cuisinier a boutonné sa chemise jusqu'au cou. Son portable sonne, générique de Mission impossible : sa mère s'inquiète qu'il ne rentre pas trop tard. On l'écoute parler de liberté. "Quand j'ai retrouvé la maison de mes parents, j'ai couru comme un jeune chiot dans toutes les pièces !"

Le retour à la vie a commencé par un profond désir de retour au passé. A l'école, accompagné de son institutrice, il a réemprunté le chemin du cours préparatoire. "J'ai retrouvé les odeurs de craie, de papier, de stylo, de colle..."Son visage s'éclaire en inspirant. L'institutrice, qu'il chérit comme "une deuxième maman", se souvient de l'enfant "parfaitement timide et soumis à l'autorité". A-t-il vraiment changé ?

Il s'est ensuite baladé dans son quartier, y compris dans cette partie de la rue Vénizélos, à Montigny-lès-Metz (Moselle), nichée au creux du talus ferroviaire où furent retrouvés, le 28 septembre 1986, les corps d'Alexandre Beckrich et de Cyril Beining, les deux garçonnets de 8 ans sauvagement frappés à la tête à coups de pierres. Certains lui avaient déconseillé. D'instinct : "Mais je n'ai rien à me reprocher !"

A sa sortie de prison, il y a six mois, son avocat parisien, Me Jean-Marc Florand, lui avait trouvé du travail dans une imprimerie de la banlieue parisienne. La greffe n'a pas pris. Trop de stress. Il est revenu dans l'Est. En août, en famille, il a fait un tour de France chez ceux qui l'ont soutenu entre le procès de Reims, à huis clos, en juin 2001 (première révision manquée, condamnation ramenée à vingt-cinq ans), et celui de Lyon, public, en avril 2002, quand, au-delà du doute ayant suscité la révision (la présence du tueur en série Francis Heaulme sur les lieux le jour du crime), une contre-enquête de gendarmerie a conclu à la quasi-impossibilité matérielle, pour lui, d'avoir commis les crimes reprochés.

Conforme à l'image que certains psychologues avaient brossée – une personnalité naïve cherchant à faire plaisir à son interlocuteur –, Patrick Dils se plie docilement au jeu des questions. On note chez lui, lorsqu'on cherche son assentiment, cette propension à répéter poliment les fins des phrases ou, parfois, à les devancer. Comment peut-on avouer un double meurtre qu'on n'a pas commis ? "Pour un policier habitué à faire craquer des récidivistes, c'est l'enfance de l'art de faire dire n'importe quoi à un enfant." A Metz, en 1986, les enquêteurs avaient déjà recueilli les aveux de deux autres suspects avant lui.

L'autobiographie, relue en famille avec son avocat mosellan, a été rédigée avec l'aide d'une journaliste de l'émission "Sans aucun doute" (TF1), qui fit couler tant d'encre pour avoir été monnayée en tant qu'exclusivité, après l'acquittement. "C'est l'avocat parisien qui a tout fait. J'ai dit "oui" parce que je ne pouvais pas vraiment faire autrement. C'est un peu à mon insu, je dirais."

On revient sur le livre. "Une thérapie, confie-t-il. Mais je suis frustré. Comment résumer quinze ans de prison !". Quinze années à souffrir au bas de l'échelle carcérale, étiqueté meurtrier d'enfants. "On dit qu'il y a eu trois cours d'assises, mais, pour moi, c'était la cour d'assises tous les jours. Il fallait toujours me justifier (...). J'aurais voulu parler de tous ceux, hormis mes parents, qui m'ont permis de tenir."A travers le procès, on connaît déjà ceux de l'extérieur, partie émergée d'un iceberg de solitude et d'introversion : un pasteur aumônier, un visiteur de prison, seules âmes autorisées les vingt et un premiers mois quand la juge d'instruction Mireille Maubert avait cru bon d'interdire au mineur toute visite de ses parents ; quand il disait aussi son innocence apparemment sans conviction. Son avocat, Me Bertrand Becker : "Comment vouliez-vous être l'interprète du silence ?" Il y eut aussi son institutrice, puis, à partir de 1994, un ami d'enfance, Jean-Claude Seignert, avec son épouse, et une poignée d'amis. Alors Patrick Dils dit ceux de l'ombre, qu'il appelle ses "collègues", souvent plus âgés que lui, véritables jalons dans son évolution psychologique. "Ce sont eux qui m'ont aidé à mûrir, à grandir, à me construire." Ce détenu, rencontré au début, à la maison d'arrêt de Metz, en pâtisserie, qui lui a appris à s'aimer. "J'étais seul, solitaire, je ne me trouvais pas beau. Il m'a dit que, pour pouvoir apprécier quelqu'un, il fallait que moi je puisse d'abord m'apprécier." Puis ce peintre, aujourd'hui décédé, assassiné. "Il avait fait les Beaux-Arts. Il me disait : "Regarde cette peinture et dis-moi ce que tu vois. Je suis sûr que je ne la vois pas comme toi. Les gens, c'est comme une peinture. Certains t'apprécieront, d'autres non" (...). Avec lui, je me suis mis à peindre."

Il y eut aussi cet ancien choriste, qui lui fit découvrir les Bee Gees, ou ce charpentier, qui l'encouragea à bricoler. Et puis, les quatre dernières années, ce groupe musical à neuf : les Nobody's Perfect ("personne n'est parfait"). D'ailleurs, personne n'était musicien. Il fredonne les chansons, toutes des compositions : Rêve, Illusion, Une rose pour Cathy, Pascaline, Les Gens... "Un jour le bassiste est venu me voir : "Patrick, je me suis réveillé cette nuit, ta situation me bouleverse [c'était juste après la cassation du jugement], j'ai fait une chanson pour toi. Il n'y a que toi qui peux la chanter, qui pourra y mettre l'émotion"."

Pour vaincre la peur, la timidité, Patrick Dils se lançait perpétuellement des défis. L'un des derniers à relever fut la préparation de son procès à Lyon. "Après la nouvelle condamnation, à Reims, ce fut comme un choc : une lettre de Me Becker, la lecture des journaux où l'on parlait de ma passivité, de mes silences, l'un de mes avocats a même dit que j'étais une énigme ! J'ai compris qu'il fallait que je devienne acteur de mon procès." Ses amis confirment : auparavant, il paraissait si passif, spectateur de son histoire. Alors, en détention, il y eut finalement Pierre Lefèvre, dit "Pierrot", dit "Papy".

A jamais, Patrick Dils sera reconnaissant à ce détenu, la cinquantaine, croisé à la maison d'arrêt de Reims. "Je lui serai redevable jusqu'à la fin de mes jours. Il a cru en moi, a demandé à partager la même cellule. Il m'a fait travailler le dossier et, comme un coach, tous les soirs, les week-ends, sous la pluie, sous la neige, il m'a entraîné. "Papy" jouait la juge d'instruction, l'inspecteur Varlet [directeur d'enquête en 1986], pour que je m'habitue. Il m'a fait souffrir. Il dégageait une force ! Il avait une foi ! Il me disait : "C'est sûr, Patrick, tu vas sortir !"."

Inconnue, une correspondance traduit parallèlement cette métamorphose qu'à l'extérieur un changement d'apparence compléta (abandon des lunettes, moustaches rasées). Après Reims, une psychiatre, le docteur Anne Hass, lui a proposé un soutien par correspondance : "Au début, il avait une petite écriture minuscule et rabougrie, constate le médecin. Elle est devenue plus ample. Il se libérait d'un poids." Tous deux ont accepté la reproduction de quelques extraits de ces lettres signées "l'innocent incompris".

Le 5 septembre 2001, en réponse à la proposition d'aide : "Effectivement, je souhaiterais suivre une psychothérapie afin d'exprimer tout ce que je porte sur le cœur et qu'il m'est impossible de dire pour le moment(...). " Le 18 : "Ce n'est pas facile de parler et exprimer les sentiments dans une cour d'assises. Depuis quelques semaines, j'ai commencé à faire seul un travail sur moi pour essayer de comprendre et d'analyser les choses afin de mieux me préparer." Le 18 octobre : "Je veux tout faire pour que Lyon soit la fin de mon calvaire afin que je puisse ensuite vivre heureux et simplement avec parents et amis." Le 20 novembre : "Je suis en train de faire un très très gros travail d'élocution et de diction verbale pour non seulement réussir à parler, mais aussi être crédible, convaincant et touchant dans mes propos. Je vous le redis, je fais de très gros efforts sur moi." Le 27 février 2002 : "Bien sûr, la vie est un combat. Mais le combat que je mène depuis quinze ans est bien plus dur et injuste que tout ce que vous pouvez imaginer (...). Je suis toujours déterminé pour Lyon, mais je sais que j'aurai la peur au ventre." Le 18 mars : "Je ne suis pas un monstre, mais un humain qui a dû se construire tout seul pour se protéger de l'univers carcéral destructeur ainsi que des adultes qui m'ont, dans la majorité de mon parcours, trahi ou ont abusé de ma gentillesse et de mon honnêteté et surtout ont profité de ma naïveté et de mon jeune âge ! La torture psychologique et mentale est pire que tout et je ne sais pas si un jour je n'en souffrirai plus (...)." Le 20 mars, à propos de Francis Heaulme : "Je mets un point d'honneur à dire que nous n'avons aucun point en commun : il est le noir. Je suis le blanc." Le 25 mars : "Parler de la prison, cela ne m'intéresse pas vraiment. Cela fait quinze ans que je suis forcé d'y vivre. Pour m'évader et m'enrichir, je préfère parler de ce qui me fait envie et me manque. En deux mots : la vie." Le 31 mars : "Encore huit jours et le combat final sera déclenché. La peur au ventre est présente (...). Mais, en repensant au dernier procès de Reims, je pense pouvoir vous dire que je suis mieux dans ma tête et dans mon cœur pour (...) faire face aux accusations. Tous les jours, je prends un petit moment où je m'allonge sur le lit et ferme les yeux en imaginant les témoins à charge (policiers, juge, etc.) (...). Pour me comprendre, il faut qu'il y ait un minimum d'échanges et que la confiance soit présente, ce qui n'est pas le cas dans une cour d'assises. On juge d'une certaine manière quelqu'un sans le connaître. A travers des procès-verbaux, des on-dit et des suppositions, on détruit d'un claquement de doigt la vie de l'accusé et celle de sa famille. Soyez rassurée, même si la peur et l'angoisse m'habitent, j'ai foi en moi, en mes défenseurs et ceux qui croient en moi."

Après six mois de liberté, constate Patrick Dils, "on me demande souvent si j'en veux à l'enfant de 16 ans que j'étais, qui n'a pas su se défendre. Mais comment pourrais-je lui en vouloir ? Quel a été mon pire ennemi ? Mon innocence"... Il veut dire sa naïveté, son manque de maturité. Alors, au-delà des visages des policiers, de la juge d'instruction, de l'avocat général et des premiers jurés de Metz – ceux de la perpétuité –, jamais oubliés, coule l'amertume. "Je n'ai de la haine à l'égard de personne. En revanche, je ne peux ni oublier ni pardonner le mal qui m'a été fait." Il pense désormais à son projet de restaurant –"J'ai ça dans la tête depuis l'âge de 9 ans." Songe-t-il à l'indemnisation ? "Ça me permettra de vivre mieux, plus rapidement, mais ça ne me rendra pas mes quinze ans." Ses amis, au risque d'essuyer des réactions de fierté, le mettent toujours en garde contre sa naïveté.

Reste ces deux mots qui lui manquaient hier : la vie. "Elle est tellement belle ! Le soir, en rentrant du travail, ça m'arrive de me mettre le long du cours d'eau et d'écouter le bruit du vent, de la flotte qui s'écoule. C'est génial !" Trois mots illuminent encore son visage : l'amour, la famille, les enfants. On croit percevoir pourtant un brouillard devant les yeux : il confesse la peur du premier rapport sexuel (le souvenir de viols, il y a dix ans, en prison), et le moment d'avoir des enfants (comment oublier ce dont on l'a accusé ?). Il ose à peine le dire, mais il a aussi peur de l'oubli. Il souhaiterait qu'après lui sa descendance puisse témoigner. "On a trop sali mon nom."

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© Elise Delprat

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